L’âge de Charlemagne
Charlemagne a assumé la domination à un moment où de puissantes forces de changement affectaient son royaume. Selon la tradition franque, il était un roi guerrier, censé mener ses partisans dans des guerres qui étendraient l’hégémonie franque et produiraient des récompenses pour ses compagnons. Ses prédécesseurs mérovingiens avaient remarquablement bien réussi en tant que conquérants, mais leurs victoires ont abouti à un royaume composé de peuples divers sur lesquels la domination unifiée devenait de plus en plus difficile. La situation des rois mérovingiens était compliquée à la fois par l’appétit insatiable de l’aristocratie franque pour la richesse et le pouvoir et par le cloisonnement constant du royaume franc qui résultait de la coutume de traiter le royaume comme un patrimoine à répartir entre tous les héritiers mâles survivants de chaque roi. Au début du 8ème siècle, ces forces avaient réduit les souverains mérovingiens à ce que leurs successeurs carolingiens surnommaient les rois « ne rien faire ». Le pouvoir réel avait été assumé par une dynastie aristocratique, plus tard appelée les Carolingiens d’après Charlemagne, qui, au cours du 7ème siècle, s’est frayé un chemin vers la domination en utilisant la fonction de maire du palais pour établir le contrôle de l’administration royale et des ressources royales et pour construire une suite assez forte pour repousser les familles franques rivales cherchant un pouvoir comparable. Au cours du 8ème siècle, les maires carolingiens du palais Charles Martel (714-741) et (avant de devenir roi) Pippin III (741-751) se sont de plus en plus tournés vers des activités visant à contrôler la fragmentation politique du royaume franc. Charlemagne était ainsi l’héritier d’une longue tradition qui mesurait un roi à son succès à la guerre, ce qui l’obligeait à concevoir des moyens de gouvernance capables de maintenir le contrôle d’une population de plus en plus polyglotte.
De nouvelles forces étaient à l’œuvre au milieu du 8ème siècle pour compliquer le rôle traditionnel de la royauté franque. Du fait que Pippin s’appuyait sur l’autorité ecclésiastique pour légitimer sa déposition de la dynastie Mérovingienne et son usurpation de la charge royale, les Carolingiens étaient devenus, dans l’idiome de l’époque, des dirigeants « par la grâce de Dieu », un rôle qui leur imposait de nouveaux pouvoirs et responsabilités non encore clairement définis. L’acceptation de ce nouveau fardeau est venue à un moment où le renouveau religieux prenait de l’ampleur pour ajouter une nouvelle dimension aux forces définissant, dirigeant et soutenant la communauté chrétienne. Le 8ème siècle a été témoin d’agitations intellectuelles et artistiques dans toute la chrétienté latine qui se sont concentrées sur le rétablissement du contact avec le passé classique et patristique comme une exigence cruciale pour le renouveau de la société chrétienne. Le système social franc, qui avait été fondé sur des liens de parenté, sur des liens liant les chefs de guerre et leurs compagnons d’armes, et sur l’appartenance ethnique, se superposait à des liens sociaux créés lorsqu’un individu se félicitait d’un autre, acceptant ainsi une condition de dépendance personnelle qui impliquait de rendre des services au supérieur en échange de considérations matérielles accordées à la partie dépendante. De plus, le monde au-delà de la Francie était remodelé politiquement et économiquement par le déclin de l’Empire romain d’Orient, l’avancée triomphale des forces arabes et de leur religion islamique à travers le monde méditerranéen, et la menace posée par les nouveaux envahisseurs scandinaves, slaves et d’Asie centrale.
La marque distinctive du règne de Charlemagne était son effort pour honorer les coutumes et les attentes séculaires de la royauté franque tout en répondant de manière créative aux nouvelles forces qui frappent la société. Ses qualités personnelles l’ont bien servi pour relever ce défi. Chef guerrier idéal, Charlemagne était une présence physique imposante dotée d’une énergie extraordinaire, d’un courage personnel et d’une volonté de fer. Il aimait la vie active — campagne militaire, chasse, natation — mais il n’en était pas moins à l’aise à la cour, généreux de ses cadeaux, compagnon d’honneur à la table du banquet et habile à nouer des amitiés. Sa famille nombreuse n’était jamais loin de son esprit : cinq épouses en séquence, plusieurs concubines et au moins 18 enfants dont il surveillait attentivement les intérêts. Bien qu’il n’ait reçu qu’un niveau élémentaire d’éducation formelle, Charlemagne possédait une intelligence autochtone considérable, une curiosité intellectuelle, une volonté d’apprendre des autres et une sensibilité religieuse — autant d’attributs qui lui permettaient de comprendre les forces qui remodelaient le monde autour de lui. Ces facettes de sa personnalité se combinaient pour faire de lui une figure digne de respect, de loyauté et d’affection; il était un leader capable de prendre des décisions éclairées, disposé à agir sur ces décisions et habile à persuader les autres de le suivre.