Les historiens des sciences commencent à peine à découvrir la richesse des différentes approches de l’étude du comportement animal entreprises au XXe siècle. À ce jour, plus d’attention a été accordée à l’éthologie lorenzienne et au behaviorisme américain qu’à d’autres travaux et traditions, mais différentes approches méritent également l’attention de l’historien, reflétant non seulement l’éventail plus large de questions qui pourraient être posées sur le comportement animal et « l’esprit animal », mais aussi les différents contextes dans lesquels ces questions étaient importantes. Une telle approche est celle représentée par les travaux du zoologiste français Louis Boutan (1859-1934). Cet article explore l’histoire intellectuelle et culturelle des travaux de Boutan sur le langage animal et l’esprit animal, et contextualise la place des études du comportement animal dans la biologie française de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. J’explore la manière dont Boutan a abordé la question philosophique de savoir si le langage était nécessaire à la pensée abstraite et montre comment il est passé de l’idée que les animaux étaient dotés d’un langage purement affectif à la notion qu’ils étaient capables de raisonnement « rudimentaire ». Je soutiens que les contextes scientifiques et socioculturels plus larges dans lesquels Boutan a opéré ont joué un rôle dans cette transition. Ensuite, je montre comment les expériences linguistiques et psychologiques de Boutan avec un gibbon et des enfants donnent un aperçu de sa conception du « naturel. »Bien que Boutan ait élevé son gibbon chez lui et l’ait étudié dans l’environnement contrôlé de son laboratoire, il a continué à identifier son comportement comme « naturel. »Je démontre spécifiquement l’importance du milieu de la Troisième République française pour façonner la compréhension de Boutan non seulement de l’intelligence animale et de l’éducation des enfants, mais aussi sa définition de la nature. Enfin, je soutiens que les études de Boutan sur l’esprit des primates nous fournissent une lentille à travers laquelle nous pouvons examiner la co-invention de la psychologie animale et infantile dans la France du début du XXe siècle.