Les quatre significations d’un mot arabe
La dernière colonne Mot à mot de Khaled Ahmad dans le Daily Times (Lahore, Pakistan) (« Le chameau est-il beau? », 18 juin 2006) nous disent que
Le mot beauté est « jamaal » qui est tiré de « jml » la racine qui signifie chameau. Le nom populaire en ourdou Jameel signifie beau. Pourquoi les Arabes sont-ils si occupés par le chameau? Nous l’appelons « oont », ce qui indique la lèvre très laide de l’animal. Des centaines de mots arabes sont dérivés des différents mouvements de l’animal.
Les Arabes ont obtenu le cheval de l’extérieur de leur région; mais une fois qu’ils se sont habitués à ses qualités, ils l’ont pris à cœur. Deux mots arabes très importants que nous utilisons aujourd’hui sont dérivés du cheval et non du chameau.
La racine sas en arabe pointe vers le cheval et le mot siyasat pour politique en est dérivé. L’art de dresser un cheval à travers un saees — un autre mot en ourdou qui signifie entraîneur de chevaux de la même racine – est censé s’apparenter à l’esprit d’État.
Un autre mot que nous utilisons pour la sagesse en ourdou est farasat. Cela vient de la racine arabe frs et signifie cheval.
Cela m’a rappelé une vieille blague sur la lexicographie arabe dont je ne me souvenais pas tout à fait, j’ai donc fait appel à Roger Allen, qui m’a fourni cette version:
Chaque mot arabe a un sens de base, un deuxième sens qui est l’exact opposé du premier, un troisième sens qui fait référence à un chameau ou à un cheval, et un quatrième sens c’est tellement obscène que vous devrez le rechercher par vous-même.
Roger a exprimé un certain scepticisme quant au fait qu’il existe réellement une relation historique entre les mots « chameau » et « beauté »:
Oui, les mots « jamaal » et « jamiil » (respectivement « beauté » et « belle ») et le mot « jamal » signifiant « chameau » sont tous formés à partir de la même structure racinaire, composé des trois consonnes J-M-L. Il est impossible de savoir (jusqu’à ce que nous ayons fait un travail beaucoup plus rigoureusement analytique et historique) quelles combinaisons mono- ou bi-consonantiques ont précédé la formation de ce groupe tri-consonantique J-M-L, avec ses deux ensembles de significations entièrement séparés et autrement non liés. En d’autres termes, il n’y a aucune raison valable de lier les concepts de « beauté » et de « chameau » si ce n’est que, en arabe, ils sont tous deux dérivés de la même structure racinaire tri-consontale.
John McWhorter nous a mis en garde contre la prise de modèles de polysémie comme des essais philosophiques ou sociologiques (« Leçons de philosophie mohawk », 18/11/2003). Je suppose que des histoires sur l’amour et la beauté des chameaux arabes peuvent aider les apprenants adultes à se souvenir des mots, tout comme des histoires tout aussi fantaisistes sur les caractères chinois peuvent aider certaines personnes à les mémoriser.
La chronique de Khaled Ahmad oppose l’affection (prétendument excessive) des Arabes pour les chameaux à la relative indifférence des Juifs:
Leurs camarades Sémites, les Juifs, appellent l’animal gamal mais n’en tirent pas le mot de beauté. La relation particulière avec le chameau se retrouve chez les Arabes, beaucoup moins chez les Juifs. Le mot anglais camel vient du latin, camelus.
Il attribue également une caractéristique clé de la prononciation de l’arabe égyptien à l’influence juive:
Le khamelos grec original a été emprunté à l’ancien phénicien. En Égypte, c’est la prononciation juive de la lettre jeem qui est suivie. Donc, si vous vous nommez Jamaal, il sera prononcé Gamal comme dans Gemal Abdul Nasser.
Je pense que cette version de l’histoire linguistique égyptienne sera une surprise pour les linguistes historiques ainsi que pour les Égyptiens. Tim Buckwalter a suggéré que cet aspect de la phonologie arabe égyptienne venait probablement directement du copte, ainsi que certaines caractéristiques syntaxiques que l’on ne trouve dans aucun autre langage familier arabe (discuté dans cette entrée Wikipedia).
Il est intéressant de voir que la soif de pépites d’informations étymologiques, historiques et interculturelles sur la langue est internationale, et il est étrange qu’il n’y ait pas plus de sources d’informations populaires mais aussi précises.
Je dois aussi rappeler à tout le monde que ce sont les Somaliens qui sont les plus profondément dans les chameaux.
Posté par Mark Liberman le 19 juin 2006 17:11