Che GuevaraA saint et pécheur moderne

AFP

LE visage barbu — les yeux regardant avec défi vers l’infini, les longs cheveux ondulés sous le béret agités par la brise des Caraïbes – est devenu l’une des images les plus familières au monde. La photographie d’Ernesto  » Che  » Guevara d’Alberto Korda a beau être agitée par les manifestants altermondialistes, elle a donné naissance à une marque mondiale. Il a orné des cigarettes, de la crème glacée et un bikini, et est tatoué sur les corps des footballeurs.

Qu’est-ce qui explique l’attrait extraordinaire de Guevara, un Argentin qui, il y a 40 ans cette semaine, a été capturé et abattu en Bolivie (voir article)? En partie la cohérence avec laquelle il a suivi sa propre injonction selon laquelle « le devoir du révolutionnaire est de faire la révolution ». Asthmatique frêle, il a pris les armes avec la guérilla de Fidel Castro dans la Sierra Maestra de Cuba. Après leur victoire, Guevara se battra à nouveau au Congo ainsi qu’en Bolivie. Il a combattu des dictateurs soutenus par les États-Unis au nom de l’anticommunisme lorsque la guerre froide était à son apogée et lorsque Guevara criait à créer « deux, trois…de nombreux Vietnamiens  » ont résonné sur les campus universitaires du monde entier. Sa popularité renouvelée ces dernières années doit beaucoup à un regain d’antiaméricanisme.

Mais c’est la sémiotique, plus que la politique, qui conduit les adolescents ignorants de la Sierra Maestra à arborer des T-shirts Che. La photographie de Korda a établi Guevara comme un symbole universel de la rébellion romantique. Cela aide aussi qu’il soit mort jeune, à 39 ans: en tant que membre de la gérontocratie cubaine, il ne serait guère devenu le James Dean de la politique mondiale. Une deuxième image, celle du cadavre du guérillero en perdition, les yeux écarquillés vers la caméra, fournit un autre indice. Il ressemble au portrait du Christ mort d’Andrea Mantegna. Il fixe Guevara comme un saint moderne, l’homme qui a risqué sa vie deux fois dans des pays qui n’étaient pas les siens avant de la donner en un tiers, et dont l’invocation de « l’homme nouveau », motivée par des incitations morales plutôt que matérielles, a plus frappé Saint Ignace Loyola que Marx.

À Cuba, il est le saint patron: à l’école, chaque enfant doit répéter chaque matin: « Nous serons comme le Che. » Ses reliques supposées font l’objet d’une vénération officielle. En 1997, alors que Cuba était sous le choc de l’effondrement de son allié soviétique, M. Castro a organisé l’excavation du squelette de Guevara en Bolivie et sa réinhumation dans un mausolée à Cuba. Sauf que dans la tradition des saints médiévaux, ce n’est probablement pas du tout son corps, selon les recherches de Bertrand de la Grange, un journaliste français.

Plus le culte se répand, plus il s’éloigne de l’homme. Plutôt qu’un romantique chrétien, Guevara était un marxiste impitoyable et dogmatique, qui ne défendait pas la libération mais une nouvelle tyrannie. Dans la Sierra Maestra, il a abattu ceux qui étaient soupçonnés de trahison; dans la victoire, M. Castro l’a placé à la tête des escadrons d’exécution qui exécutaient les « contre-révolutionnaires »; en tant que ministre des industries, Guevara a préconisé l’expropriation jusqu’à la dernière ferme et au dernier magasin. Son exhortation à la guérilla, indépendamment des circonstances politiques, a attiré des milliers de Latino-Américains idéalistes à leur mort, a contribué à créer des dictatures brutales et a retardé la réalisation de la démocratie.

Malheureusement, l’exemple de Guevara n’est pas seulement invoqué par les adolescents, mais par certains gouvernements latino-américains. Au Venezuela, Hugo Chávez veut créer le  » nouvel homme » guevariste (voir article), au moment même où Cuba a des doutes. Comme le note Jorge Castañeda, l’un des biographes de Guevara, l’influence persistante du Che a retardé l’émergence d’une gauche moderne et démocratique dans certaines parties de l’Amérique latine. Malheureusement, la plupart de ceux qui achètent le T-shirt ne le savent ni ne s’en soucient.

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